30 L'âge de ma naissance

Prologue

Toute histoire est singulière. La mienne aussi forcément.

A la veille de mes trente ans, je recommence tout doucement à vivre. 

Je sens qu’il est temps de mettre des mots sur ce que j’ai vécu au plus profond de mon être pendant quatre longues années.
Cet ouvrage que vous tenez en main, je l’ai écrit d’abord pour moi. Il est de nature cathartique : des paroles pour m’apaiser, prendre du recul et tourner une page essentielle du livre de ma vie.

J’ai pourtant la conviction que la singularité de mon histoire mérite d’être questionnée : pourquoi tant de jeunes refusent-ils, à un moment précis de leur existence, de se nourrir ?

Si ce récit peut les aider à prendre conscience de ce qui leur arrive ainsi qu’à ne pas s’en sentir coupables, eux et leur entourage, j’aurai contribué modestement à un premier pas vers la lente guérison, vers l’improbable acceptation.

En effet, si l’anorexie prend toujours la forme d’un corps émacié, les raisons de cette autodestruction sont multiples et complexes, mêlant inextricablement histoire personnelle et contexte sociétal.

A cet égard, comment ne pas stigmatiser la tyrannie du paraître, la dictature de la réussite et d’un bonheur de pacotille d’une société d’abondance (pour certains plus que pour une majorité d’autres...) ne laissant aucune place aux aspirations confuses mais profondes d’un(e) adolescent(e) ?

Le corps maltraité de l’anorexique n’est-il pas, du moins en partie, le reflet d’un corps social malade d’indifférence face aux protestations muettes de ses membres les plus fragiles ?

J’en ai fait partie mais j’en suis sortie vivante ; de trop nombreux jeunes, femmes pour la plupart, n’ont pas eu ma chance.

C’est aussi leur mémoire que je veux honorer en écrivant ce livre, fruit d’un accouchement avec douleur.

J’ai dû revivre intensément des événements que j’aurais préféré oublier. Mais peut-on goûter pleinement à la saveur de la vie sans plonger à nouveau au cœur de nos abysses intérieurs ?