Pic de température

Quand c’est non, c’est non !

Les probabilités que je me décide à avoir un bébé sont comparables aux prévisions de MétéoMédia à plus de cinq jours : improbables.
Ma vie actuelle est un magnifique anticyclone. L’aventure de la maternité ? Un épais brouillard. Or, le bon sens m’incite à croire que, lorsque le ciel est dégagé, il faut garder le cap plutôt que de foncer dans une zone de turbulences.
Mon raisonnement est peut-être digne de l’almanach des fermiers canadiens, mais il tient la route. Surtout, il me sert de bouclier dans une société où le simple fait de mentionner que vous n’avez pas reçu l’appel de la maternité vous fait passer pour une personne anormale, un prototype de femelle incomplète, une égoïste invétérée.
Je ne veux pas avoir d’enfants, donc. Du moins pas tout de suite. Plus tard. « Plus tard, quand ? » me demande périodiquement mon amoureux, Pierre. « Quand je serai prête », que je réponds sur un ton évasif. Sauf que cela fait dix ans que je lui fournis la même réponse. Dix ans qu’il use de la même patience. L’élastique va finir par péter. Mais on ne fait pas un bébé pour économiser sur l’élastique.
Je me sens vaguement coupable, mais je n’y peux rien. À trente-trois ans, l’âge du Christ à sa mort, je ne suis pas encore prête à faire don de mon corps, à sacrifier tout ce que j’aime de ma vie actuelle ni à faire une croix sur ma carrière de journaliste pour accueillir les régurgitations, les nuits blanches et la varicelle.
Et ce ne sont pas les sempiternelles blagues de ma famille à ce sujet ni le bourrage de crâne social qui me feront changer d’avis.
Ne vous en déplaise, je n’ai pas à porter non plus sur mes épaules le poids de la pyramide des âges inversée. Il y a quelque chose de cruel à mettre au monde des bébés qui doivent déjà des milliers de dollars à l’État dès leur naissance et qui sueront leur eau de baptême leur vie durant, pour renflouer le déficit des finances publiques et payer les coûts explosifs des soins de santé des vieux croulants que nous serons devenus.
Malgré cela, il y a toujours des personnes, prétendument bien intentionnées, qui ne trouvent rien de mieux à me demander que : « C’est pour quand, le premier ? » Elles me posent la question comme ça, au coin de la rue, avec une nonchalance déconcertante. Elles pourraient s’extasier devant ma dernière paire d’escarpins rouges, s’enquérir d’une bonne adresse de restaurant ou s’intéresser à mon travail, mais non ! Parfois, j’ai l’impression d’être une biche prise au milieu d’une battue. Elles me repèrent des kilomètres à la ronde et me traquent, moi, pauvre femelle en âge de procréer, pour m’assommer avec ce dogme de la reproduction.
Car, voyez-vous, il y a dans ce bas monde deux types de femmes : celles qui veulent des enfants et celles qui n’en veulent pas.