Être du monde

À BORD

Le taxi vient de me déposer devant l’échelle de coupée. Je lève la tête, regarde à droite, regarde à gauche. Le cargo est énorme. En comparaison, l’échelle paraît anodine, facile à franchir, d’une parfaite innocuité. C’était pourtant ce qui me faisait le plus peur. Sur les photos, elle semblait si haute ! Et là, par rapport à la taille du bateau, c’est presque un détail. Cependant, elle est bien entourée d’un filet de sécurité et cela ne peut signifier qu’une chose : il y a du danger. J’y ai beaucoup pensé les jours derniers, surtout à cause de la difficulté que j’aurais à hisser mon sac. Dans les consignes données par la compagnie, il est précisé que les passagers doivent monter eux-mêmes leurs bagages. Cela explique pourquoi j’ai troqué mon habituelle valise à roulettes contre un sac à dos. Dans ce sac, je suis certaine de n’y avoir mis que l’essentiel, mais il pèse si lourd que je titube lorsque je me harnache.
Mes craintes sont vaines. Un marin, qui attendait au pied de l’échelle, s’empare du bagage et je n’ai qu’à grimper à sa suite. Il est vingt-deux heures et il fait trop sombre pour distinguer les alentours. De toute façon, distraite par les drôles de marches, je ne songe pas à regarder sur les côtés. On m’expliquera plus tard qu’elles sont bombées et striées pour que les marins puissent marcher dessus quand l’échelle est à l’horizontale, ce qui est le cas lorsqu’ils la remontent après l’avoir accrochée à la coque, une des dernières manœuvres avant l’appareillage.

Je me retrouve en haut sans avoir eu le temps d’y penser ni d’avoir peur. Je signe un registre, réponds aux salutations de plusieurs hommes qui se présentent en me serrant la main, ne retiens aucun de leurs grades et, a fortiori, aucun de leurs noms à consonance étrangère. J’emboîte le pas de celui qui m’y invite et j’aboutis dans un bureau où je suis reçue par le second, lequel me souhaite la bienvenue sur le Sunrise et prend mon passeport. Comme les autres, il m’accueille en anglais, la langue officielle du bord. Ce n’est toutefois la langue maternelle de personne – les officiers sont roumains, l’équipage, srilankais – et je découvrirai vite que tout le monde la parle mal. Mes propres lacunes en deviendront plus acceptables. Le second me confie au steward, qui me conduit à ma cabine au cinquième étage où trône mon sac, arrivé avant moi. L’homme me fournit quelques explications dans un sabir à peu près incompréhensible, mais agrémenté de gestes et de sourires. Il me donne à lire un document qui résume les consignes de sécurité et les règles de vie à bord. Puis il s’en va, après m’avoir fait signe de m’installer.
Je dépose les feuillets sur le bureau et regarde autour de moi. La cabine ressemble à une chambre d’étudiant, mais en plus grand. C’est une agréable surprise parce que je l’avais imaginée minuscule. Elle est meublée d’un canapé, d’une table basse et d’un bureau. Si j’ai pensé à une chambre d’étudiant, c’est à cause du lit à une place avec un tiroir en dessous : du fonctionnel avant tout. Le hublot est face à la porte, au-dessus du canapé. Je l’ouvre, je regarde, mais je ne distingue rien de précis, seulement des lumières.