Jonny Appleseed

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J’ai su que j’étais gay quand j’avais huit ans. Je restais souvent debout jusqu’à ce que tout le monde soit couché pour regarder Queer as Folk sur la télé de ma kokum. Elle avait un satellite avec tous les postes, piratés bien sûr. À l’époque, ma mère et moi on habitait chez ma kokum parce que mon père nous avait quittés – je pense qu’il a pris Loretta Lynn un peu trop au pied de la lettre parce qu’un beau jour il s’est saoulé pis il est jamais rentré. Queer as Folk jouait à minuit ; je coupais le son de la télé et je mettais les sous-titres pour que personne entende, et je baissais la luminosité de l’écran pour m’assurer que son éclat brille pas sous les portes de chambre comme le poltergeist en personne. J’adorais QAF; moi aussi je voulais être un homme gay avec une vie fabuleuse à Pittsburgh. Je voulais habiter dans un loft et sortir dans les bars gays et danser avec des beaux gars et jouer avec des glory holes. Je voulais travailler dans une librairie de bandes dessinées ou dans une université, je voulais être sexy et riche. Je voulais être comme eux. J’avais l’habitude de me branler devant l’entrejambe de Brian Kinney et je faisais pause sur le p’tit cul blanc de Justin Taylor pour finir. Je prenais ma couverte pour pas salir le divan brun à motifs floraux de ma kokum, et à la fin je m’essuyais avec une chaussette. Toujours je ravalais mon souffle et pliais les orteils quand j’étais sur le point de venir. Au moment de jouir, je me disais, c’est à ça que la beauté doit ressembler : peau serrée et brûlante, corps mouillé comme la boue.