L'Homoman à la caméra

Introduction
             Le présent essai résume mon expérience de créateur et d’observateur depuis les premiers jeux de mon enfance jusqu’à ce jour, soixante-dix ans plus tard. Sans la création, je n’aurais pas survécu, j’en suis persuadé, aux rigides schémas familiaux, éducatifs, sociaux, religieux et politiques au centre desquels j’ai grandi.
             J’y reprends, consciemment ou non, les grandes lignes de ma pensée et de mes actions qui se sont traduites par de multiples traces de création – films et vidéos, photographies, écrits – et, complément logique, par mon engagement dans la défense du droit fondamental de tout individu d’être un créateur libre et, plus particulièrement en ce qui me concerne, d’être un cinéaste indépendant dans un domaine soumis à l’industrie et au profit.
             Bien entendu, la création, à l’instar de la liberté, ne s’exerce pas sans les mirages de l’utopie. Utopie d’un monde idéal, d’un individu idéal, d’une société idéale, d’un art idéal et même d’un après-la-mort idéal, ces idéaux excessifs et sublimés qui mènent à toutes les formes imaginables de fanatisme et de radicalisme. Plutôt que de succomber aux mirages, il vaut mieux s’abreuver aux oasis dispersées au hasard de l’évolution de la nature et de l’humanité : leur rareté ne les rend que plus essentielles.
             Je lisais il y a quelque temps dans la revue Scientific American un article sur les probabilités de l’existence d’exoplanètes qui seraient plus favorables que notre Terre à toutes les formes possibles de vie à cause d’une masse plus volumineuse, d’une atmosphère moins fragile, d’océans moins gigantesques, d’un noyau plus dur, de l’absence de plaques tectoniques et ainsi de suite. Fascinant article, fascinante hypothèse, mais, comme on dit au Québec, « on est pognés drette icitte » et on a le choix de vivre ailleurs qu’en imagination, ce qui est déjà une formidable compensation (ma mère a passé sa courte vie à répéter que tout était une question de compensations, ne sachant pas qu’elle résumait d’une certaine manière la pensée de Darwin et d’Einstein). Nous devons accepter et nous réjouir d’être les arbres auxquels le sol du pays que nous habitons permet de germer et de grandir ; bref, chaque collectivité habite un écosystème géographique et mental différent de ceux des autres collectivités, bien que nous vivions de plus en plus dans le « village global » d’un monde sans frontières, ce qui ne change rien à nos racines premières ni au fait que chaque individu soit différent de tout autre.
             Dois-je craindre de me répéter ? Peu m’importe. En ces temps de mémoire ultrarapide, forcément ultracourte, j’ai besoin de bien attacher, de bien ancrer les fils d’Ariane qui me permettent encore aujourd’hui de ne pas me perdre dans le labyrinthe de la réalité. J’espère à tout le moins ne pas souffrir du syndrome « c’était bien mieux dans le bon vieux temps », surtout que cette expression est fausse et devrait se dire « dans le bon jeune temps », car pour moi, le « bon vieux temps », c’est maintenant.
             Si je semble à l’occasion sortir de la piste à suivre comme le font les chiens pisteurs pour rafraîchir leur odorat, dans mon cas, ce sera pour mieux retrouver le fil de mes pensées ; mais loin de moi le désir de vous les imposer : je vous les propose pour qu’elles alimentent les vôtres selon votre propre appétit et votre propre régime créatifs.