La cérémonie de guérison clandestine

Un feu orange grandissant faisait rage à l’extérieur d’une humble hutte. Un jeune homme, grand et maigre, vêtu d’un gros manteau et d’un jean, était debout devant le brasier, une fourche à la main, l’œil vigilant. Son cousin, bien plus petit de taille, tenait le rabat ouvert à l’entrée de la hutte. Il était minuit, au cœur de l’hiver. Les flammes crépitaient très haut dans l’air glacé. Cinq hommes et trois femmes, dont l’âge s’échelonnait de la fin de l’adolescence à la fin de la vingtaine, faisaient la file, une serviette enroulée autour de leur corps nu et grelottant. Des bottes protégeaient leurs pieds tremblants du sol enneigé, dont la croûte se fissurait sous les pas et laissait voir une fine poudre blanche. Chacun était muni d’un shaker qui accompagnerait les chants. À la tête de la file, les femmes avaient dénoué leurs longs cheveux ; deux des hommes avaient fait de même. Dans la lumière orange, leur teint hâlé chatoyait de reflets beiges, bronze, bruns, comme le feu dansait dans leurs yeux marron en amande. Ils avançaient lentement vers la hutte, qui faisait quatre pieds de haut et huit de diamètre. Un Aîné était assis à l’intérieur et attendait.

Tous s’arrêtèrent devant le feu pendant un moment pour prier et faire une offrande de tabac, en guise de remerciement. Ils firent cela en silence, le seul bruit émanait de leurs bottes qui faisaient craquer la croûte de neige. Alimenté par les branches de cèdre qui avaient suivi les offrandes, le feu crépitait de plus belle. Le tabac, lui, brûlait en silence, emportant dans ses volutes les pensées et les prières des jeunes. C’était comme si les craquements du cèdre prêtaient voix à leurs souhaits.

Puis, l’Aîné prit la parole.

— Biindegan, entrez, mes nièces et mes neveux. Il fait froid dehors. Ici aussi, mais bientôt nous aurons chaud. Attention à votre tête en passant la porte. Mettez-vous à quatre pattes une fois à l’intérieur, comme quand vous étiez bébé et que vous rampiez vers les bras tendus de votre mère. Elle n’est pas là : c’est moi qui m’occuperai de vous aujourd’hui. Il fait noir et froid, et peut-être avez- vous peur, mais je vais vous guider.

« Pour beaucoup d’entre vous, c’est la première fois que vous faites cela. Mais ce n’est pas la première fois que vous êtes là. Vous êtes ici dans le ventre de votre mère. Vous êtes venus ici pour guérir. C’est un lieu sacré et, quand vous repartirez cette nuit, vous sentirez de nouveau cet amour. Entrez et asseyez-vous. »

L’un après l’autre, ils retirèrent leurs bottes, les empilant à gauche de la Porte de l’Est. Le cèdre sur le sol leur chatouillait les pieds et se glissait entre leurs orteils. Ils s’accroupirent en se mettant lentement à quatre pattes, les femmes d’abord. Les branches piquantes qui jonchaient le sol ne les protégeaient en rien de la morsure du froid. C’était désagréable et les novices semblaient hésiter, en se demandant dans quelle aventure ils s’étaient embarqués. Ils contournèrent, dans le sens des aiguilles d’une montre, une fosse vide au milieu. Les femmes prirent place du côté ouest, comme le voulait la tradition ; les hommes, du côté est. Ils se blottirent les uns contre les autres en raison du froid et l’Aîné se positionna à gauche de la porte, une silhouette dans la pénombre. La lumière du feu jouait dans ses longs cheveux ébouriffés, tressés en une seule natte dans le dos, et le nimbait d’une antique aura orange. Quand il tourna la tête, les jeunes entrevirent son profil, un long nez pointu qui saillait de ses joues rebondies et qui menait à une bedaine bien ronde. À sa gauche se trouvait une grande marmite en cuivre remplie d’eau, avec un gobelet en cuivre à l’intérieur.

— Shkaabewis ! Nous sommes prêts pour les Grands-pères ! Faites-les entrer.