La Liberté des savanes

Nous attendons la neige. C’est pour d’un jour à l’autre. La chatte grimpée dans le pommier miaule au soleil mourant, qui la dédaigne. Ciel pourpre au-dessus des pins, barre cuivrée à l’ouest, au ras de l’horizon une chamarrure de soufre. Les branches nues supplient, tout comme nos deux chaises qui gisent, leurs huit fers en l’air –il a venté à décorner les bœufs, toute la nuit. Un papillon s’efforce laborieusement d’émerger de son cocon, pendu à une branche du vinaigrier, tout froncé par le gel. Englué dans le suc de sa transformation, tremblant comme feuille au vent, il achève, hors saison, sa métamorphose. Un peu plus et je pourrais l’entendre battre des élytres dans son enveloppe de soie. Une libellule, tardive elle aussi, se pose sur mon épaule. Son abdomen du rouge-noir du sang séché vibre contre mon oreille, me bourdonnant je ne sais quel secret de toute première importance. Dans son gros œil miroitant je m’aperçois: face longue, regard écarquillé, bouche grande ouverte. Contentement étonné, survie, prolongement inespéré. Le jardin est défunt, le lac, un miroir incendié. Déjà les grenouilles et les tortues dorment, enfoncées dans la boue. Les oies voyagent à plein ciel, jappant à la lune qui monte.La fine glace ciselée – losanges, étoiles, égratignures pareilles aux traces qu’y abandonnent les griffes de la chatte – reflète un ciel tout en lacis. Les nuages se déchirent, se rabibochent. Les arbres sont sectionnés par la lumière, leurs faîtes pointant à la fois le nord et le sud, leur dernier feuillage bronzé par le vieil or du soleil. Suis-je le seul témoin de l’expansion de l’univers? J’entends tirer mon chasseur. Son pick-up rutile, son pare-brise verglacé, au milieu du chemin qui mène à la pinède. Ses coups de carabine font s’écraser la chatte dans l’herbe, décamper les mésanges du cenellier. Il sortira du bois à la brunante, bredouille comme hier. Cette année, nos pommiers sauvages n’ont pas donné de fruits, le chevreuil est descendu vers le sud. Et il y a les coyotes en bandes nourries –on les entend, la nuit, iodler à la lune. Il haussera les épaules, sa carabine dans le coude du bras et me lancera:

—J’ai pas encore frappé, mais demain...