La raison des fleurs

C’est chaque nuit la même lumière,
les mêmes fantômes, les mêmes fleurs.
Histoire, énigme, cercle. Lettres.
La répétition m’incombe exactement.
Je vois le grand ciel, la catin noire,
la vraie de vraie peur qui mord au ventre.
La chambre, la fenêtre, le lit qui est grand
et qui est vide. Le drap plié, déplié.
Je ne dors plus je veille les pierres
qui tombent et le vent qui rend fou.
Je compte les pétales, les feuilles –
ma maison est légère (trop légère).
Je tourne les pages pour me rassurer.
Mes fantômes, mes beaux fantômes
découchent un soir sur deux.
J’attends, la nuit venue, j’attends.
Je suis le portrait craché
d’une cause perdue.

 

*

 

Je cherche depuis longtemps
une histoire qui n’existe pas.
Le théâtre est là, j’organise la scène :
les objets viennent avec les heures noires,
j’essaie leur silence un à un.
La généalogie m’épuise
au-delà de tout soupçon.
Je prends trois masques et un miroir,
un grand voile ou un joyau impur.
Je pense à la chose qui va loin et qui coûte cher.
C’est un secret vieux comme le monde je dis
fleur je veux dire peur j’ai la patience
d’un rêve brisé j’ouvre sans attendre
les questions irréparables.

 

*

 

Quand je ferme les yeux, j’imagine la fin
d’un étrange sommeil. Je ne résiste pas,
je n’attends plus la nuit, je lève les mains
et c’est elle qui me trouve. Le mot amour
entre les dents, je suis une petite bête
de deuil que la lumière ne rédime pas.
Je révèle ainsi un paysage sans mesure,
quelques lignes étroites qui ne mènent
nulle part. J’ai la mémoire d’un homme
qui ne connaît pas la mer, je vois les vagues
revenir et je ne pense à rien. Devant le ressac
et l’écume, je lis les preuves de ma désertion.
Je ne m’efface pas, l’image est claire :
c’est la surface qui m’abandonne,
l’origine qui d’un trait m’annule.