Le guide des bars et pubs de Saguenay

J’AI ÉTÉ INVITÉ EN 2014 pour une résidence d’artiste au Centre Bang à Chicoutimi. La rési­dence devait s’étendre pendant tout le mois de sep­tembre. J’ai accepté. C’était la première fois que je me retrouvais en résidence et je ne savais pas trop ce que j’y ferais. On me fournissait un petit appar­tement, et je suis débarqué avec quelques livres, mon laptop et mon téléphone. On ne m’avait pas demandé de produire quelque chose de précis et j’avais d’abord dit que je profiterais de cette occa­sion pour lire Leibniz, Badiou, Ricœur. Je ne me cherchais donc pas désespérément un projet, mais comme les villes que je ne connais pas encore me fascinent, j’ai rapidement entrepris d’arpen-ter Chicoutimi pour essayer de découvrir ce qui s’y passe. Or cette ville possède un nightlife particulièrement riche. Elle regorge de bars et de pubs de toutes sortes. Karaokés, clubs sociaux, dis­cothèques, bars de poudre, tavernes d’ouvriers et de chasseurs. Je me suis dit que j’y trouverais peut-être assez de matériau pour construire quelque chose de littéraire. Ce n’était rien de plus au départ, et dès le premier vendredi je m’étais fait un itiné­raire de soirée pour voir si un tel projet avait des chances de fonctionner, si je trouverais effective­ment quelque chose à écrire.

Le premier bar où je suis allé était aménagé dans un sous-sol. Il devait être vingt heures et l’atmos-phère était étrange, comme lourde. Mal à l’aise, je me suis assis sur le bout d’un banc et j’ai com­mandé une petite Corona. Puis j’ai remarqué qu’il n’y avait que des hommes. J’ai pensé qu’il s’agis-sait d’un bar gai, mais ces hommes n’avaient pas le look et les manières de ceux qu’on croise dans le quartier gai à Montréal. Ils avaient l’air d’ou-vriers d’usine, se parlaient peu, tout le monde avait l’air sérieux. Un homme d’un certain âge est venu me parler. Il s’est mis à me raconter sa vie d’une manière colorée. Il était sympathique, mais son monologue ininterrompu est devenu accapa­rant à la longue. Ma bière finie, je suis parti. Il y a des endroits où on ne se sent pas le bienvenu, où on sent qu’on est l’étranger et, quand on n’est pas habitué, la pression qu’on sent sur soi est presque insoutenable.

Je suis donc monté juste au-dessus dans le deux­ième bar de mon itinéraire. J’avais espéré beaucoup de la soirée de karaoké qui était annoncée, mais il n’y avait que cinq clients, c’était plus que tranquille. Ma grosse Molson Dry risquait d’être longue et plate à boire, alors je me suis mis à noter sur mon téléphone mes impressions concernant le bar que je venais de quitter. J’en ai fait un petit récit, ma rencontre avec le monsieur s’y prêtait bien. Mais ce n’était que des notes, du matériau pour un texte dont la forme finale restait à déterminer.

C’est pendant que je prenais ces notes que le monsieur est entré. Chose vraiment étrange, moins de cinq minutes plus tard une des clientes lui criait après pour un commentaire qu’il avait fait, alors que l’animatrice du karaoké chantait plus fort, comme pour enterrer la scène. Et moi, je me retrouvais d’une manière spontanée à essayer de transcrire ce qui se produisait à mesure.