Notre part de nuit

Une telle lumière ce matin-là et le ciel limpide, à peine une tache blanche dans le bleu brûlant, plus semblable à une traînée de fumée qu’à un nuage. Il était déjà tard, il fallait partir, demain il ferait aussi chaud ; et s’il pleuvait, si l’humidité du fleuve accablait Buenos Aires, il serait incapable de quitter la ville.
Juan avala sans eau un comprimé contre le mal de tête et entra dans la maison pour réveiller son fils, qui dormait sous un drap. On part, lui dit-il, le secouant doucement. Le garçon se réveilla sur-le-champ. Les autres enfants avaient-ils le sommeil aussi léger, étaient-ils autant sur leurs gardes ? Va te débarbouiller, ordonna-t-il, lui essuyant délicatement les yeux. Ils prendraient leur petit déjeuner sur la route. Juan saisit les sacs qu’il avait préparés et hésita entre plusieurs livres avant d’en choisir deux de plus. Il vit les billets d’avion sur la table : il avait encore cette possibilité. Il pouvait se recoucher et attendre la date du vol, dans quelques jours. Pour ne pas céder à la paresse, il déchira les billets et les jeta à la poubelle. Il avait la nuque en sueur à cause de ses longs cheveux : ça allait être insupportable sous le soleil. Il n’avait pas le temps de les couper, mais il fouilla les tiroirs de la cuisine à la recherche des ciseaux, qu’il rangea dans la boîte en plastique où il avait mis ses médicaments, le tensiomètre, la seringue et des pansements, la pharmacie de base pour le voyage. Ainsi que son couteau le plus aiguisé et le sac de cendres qu’il allait finalement utiliser. Il prit l’inhalateur, il en aurait besoin. La voiture était fraîche, le similicuir n’avait pas trop absorbé de chaleur pendant la nuit. Il posa la glacière, contenant des glaçons et deux boissons gazeuses, sur le siège avant. Il aurait préféré avoir son fils à ses côtés mais c’était interdit, Gaspar devait s’asseoir à l’arrière. Juan ne pouvait pas prendre le risque d’avoir le moindre problème avec la police ou l’armée, qui surveillait sévèrement les routes. Un homme seul avec un enfant avait toutes les chances de paraître suspect. Les oppresseurs étaient imprévisibles. Juan souhaitait éviter les incidents.
Gaspar, appela-t-il, sans vraiment élever la voix. N’obtenant pas de réponse, il entra dans la maison. Le garçon essayait de lacer ses chaussures.