Nous sommes des histoires

Préface

Louis-Karl Picard-Sioui

Depuis quarante ans, la littérature autochtone d’expression française enchante, surprend, déboussole. Elle fait violence à l’hégémonie coloniale et à son métarécit d’épopée glorieuse, ne serait-ce qu’en pointant le monstre du doigt. Elle s’attaque à la conception même de l’américanité pour en renouveler l’essence et révéler la diversité des expériences. La littérature autochtone rend chair et âme à l’Indien orientalisé, fantasmé, construit pour revente rapide dans les boutiques de souvenirs ou dans les grandes messes du complexe militaro-industriel. Elle donne cours à la revitalisation perpétuelle des mythes et symboles nécessaires à la pérennité de toute culture vivante. Elle met en scène la richesse culturelle propre au continent, non pas celle d’une pop-americana occidentale transplantée de force dans une Terra nullius en quête de sens, mais celle de l’Amérique immémoriale, authentique et humaine qui, à l’instar des autres éléments constellant son île, a été forgée par les forces telluriques au fil des millénaires. Celle d’une Amérique survivante, résistante, bien qu’étouffée par l’arrivée en masse de cultures invasives sur ses berges.
La littérature autochtone expose notre imaginaire. Notre imaginaire bordé de toundra, de champs de maïs et d’esprits moqueurs. De tipis de bétons et de Kabir Kouba fracassant les rochers. Elle rend hommage aux Anciens, aux guerriers de nations disparues sous les flots de spéculateurs disloquant les terres neuves. Aux femmes debout, généreuses, fertiles, protectrices, effacées, disparues, cosmogoniques ou enchaînées. Elle propose des témoignages d’amour, de solidarité, de parentalité, de sagesse ancienne, d’espoir nouveau, d’abus, de déchéance, de violences policières et de chairs ténues. De nomades modernes, errant du Québec à Haïti, de l’Irak au Sri Lanka. Des récits de pensionnats déchirant la nuit en pleurs. Des histoires d’animaux et de Windigo, de sédentarisation, de célébration et de masturbation. Une poésie contemporaine hantée par l’avenir ou appâtant les Maîtres des Animaux. Une plume érotique qui chatouille le bas-ventre de notre humanité charnelle. Des histoires d’esprits extra-terrestres et de mythes originels. De danses de clochettes et de guerres de clochers. De plus en plus décomplexée, la littérature autochtone nous attend, sans cesse, ailleurs.