Pilleurs de rêves

L’histoire de Frenchie

Mitch avait le sourire fendu jusqu’aux oreilles, tellement que ses molaires brillaient dans la douce lumière de la lampe solaire qu’on avait piquée, lui et moi, dans un abri abandonné.

«Regarde!»
Il agitait un sac de Doritos, un gros en plus.
«Wow, Mitch! Tu l’as trouvé où?»
J’ai touché l’emballage gonflé pour être sûr que je

ne rêvais pas. J’ai fait glisser mes doigts sales comme des patins sur la surface glacée. Des vrais Doritos! Mes papilles salivaient déjà, au grand déplaisir d’une vilaine carie au fond de ma bouche.

«Dans la dernière maison là-bas, au-dessus de l’ar- moire – la même cachette où Maman mettait ce qu’elle voulait pas qu’on trouve.»

Maman était partie depuis quelques mois à peine, alors le cœur nous serrait encore quand on parlait d’elle. Mon frère a crevé le sac pour enterrer notre peine et, comme un feu d’artifice au parfum de fromage, le brusque éclat de poussière jaune-orange nous a remonté le moral.

La cabane où on se trouvait était perchée dans un arbre, aux limites d’une petite ville depuis longtemps aussi déserte qu’un dépanneur désaffecté. On était à quelques heures de Métropole Sud, qui s’appelait Toronto dans le temps, quand il y avait encore tellement de villes qu’elles portaient toutes un nom particulier plu- tôt que d’être désignées par un point cardinal. Cité Ouest, Métropole Nord-Est, Municipalité Sud...

C’était une supercabane; le père du petit chanceux à qui elle avait appartenu avait sans doute travaillé dans la construction. Elle était à une bonne dizaine de mètres du gazon sauvage et avait un toit à pignon couvert de vrais bardeaux. On se cachait là depuis déjà trois jours, pour échapper au pensionnat. Avant de partir avec le Conseil sans laisser de traces, Papa nous avait appris que la meil- leure façon d’échapper aux regards était de ne jamais rester au même endroit, mais le printemps avait été humide. Il avait plu presque tous les jours pendant plus d’une semaine, alors on n’avait pas pu résister au confort sec d’une belle cabane en bois avec des bancs encastrés. On se disait que, de toute manière, elle était en hauteur, comme le repaire d’un tireur d’élite, et que si quelqu’un approchait, on le verrait arriver.