Poétique d’Anne Hébert

INTRODUCTION

L’œuvre d’Anne Hébert occupe sans contredit la place d’honneur dans la littérature québécoise, comme en témoigne la fascination de nombreux lecteurs d’ici et à travers le monde depuis plus d’un demi-siècle. Elle a inspiré plus de thèses, d’articles et de livres que toute autre œuvre québécoise. Pourtant, il n’existe encore aucune étude d’ensemble portant sur ses fondements imaginatifs. Les premiers textes, abordés de façon parcellaire dans des articles ou des parties de livres, n’ont jamais vraiment intéressé la critique. On y a vu des exercices de style, des expérimentations sur les formes, une «étape initiale, ou encore un prologue nécessaire» pour l’œuvre à venir. En cherchant un peu plus cependant, on aurait pu y trouver l’unité imaginative de sa structure, son schème organisateur.

La méconnaissance de ces assises n’est pas étrangère au problème d’interprétation du Tombeau des rois. Peut-être nous aura-t-elle aussi empêchés pendant longtemps de définir la poétique d’Anne Hébert. Chaque texte doit certes pouvoir se lire indépendamment de l’ensemble, trouver sa cohérence, son sens en lui-même. Mais pour en saisir la véritable portée, il faut comprendre la dynamique sous-jacente au travail de l’écriture,ce qui relève de la poétique, c’est-à-dire des principes qui président à l’organisation d’une œuvre. Pour définir cette poétique, selon Henri Meschonnic, il faut pratiquer une poétique de l’œuvre. Tenue à distance comme objet contemplé, l’œuvre vivante doit aussi être revécue comme sujet par la critique et devenir participation: «La visée d’une telle poé-tique est l’œuvre, dans ce que son langage a d’unique». Nous esquisserons donc ici, à travers la lecture-écriture de certains textes de jeunesse et du recueil de poèmes Le Tombeau des rois, les grandes lignes de cette poétique, laissantà d’autres le soin d’en articuler les règles formelles de fonctionnement.