Problème trente

Études minières

Si la ruine étend son règne et que le sang menace de couler à l’envers, devenir chercheur minier. C’est-à-dire s’enfoncer dans la question, là où les cahiers décrivent une pulvérisation curieuse, où, jusque dans le ressassement ensommeillé, le silence est une friction bavarde.

En-dessous du livre. Mémoire pliée, appelant coups de sonde, palpations, auscultations. Puits d’accès. Aveuglettes aux sous-sols où les sourciers se sont engouffrés.

Forage à des profondeurs élevées, dit-on bizarrement. Ça se creuse comme un journal en mutation, aveuglément, la numérotation des jours servant de canevas pour une attention discontinue, laissant les thèmes s’entremêler comme des rythmes pendant qu’on rêve d’un ordre qui nous rêve.

Tunnels, galeries, entrailles… Une station tentaculaire là-dessous, pour donner corps à une préoccupation qui commande l’indirect et le retardement. Si la parole est un savant cache-cache, c’est que nous demeurons un trou pour nous-mêmes, une nuit aux dimensions indéterminées.

Fouir, s’enfouir, circuler, s’extraire. Entre la plante et l’animal quelques idées problématiques, installées comme des capteurs dans la masse imprononçable, pressentiments d’un centre parmi les distorsions. Une grappe de regards miniers, quand rien de tel que l’inorganique n’existe, comme au fond de quiconque une pierre aime à fendre son repos.

Une personne regarde son enfant. C’est à la fois soi et non-soi. Ambivalence infime où se réactive un clivage semblable à celui du trouble intérieur, sinon à la lecture –  où la propriété du verbe est filtrée par une interférence fertile.

 

La descente au livre

Pour commencer on se penche sur la question, vers la table d’opération d’un livre. Sauf qu’on y tombe: armoire sans fond qu’il faudra feuilleter avec son vertige.

Élévation par le bas, en marge de vies passées à rechercher l’étourdissement aérien, les hauteurs toutes condamnées à retraiter dans le mot, dans son milieu contradictoire.

Se contenir dans la page ravive le spectre des directions, tant la chute dans le livre est dénuée de bords fixes. Soumis à une libération éventuelle, on devient ce miroir aux funambules, un monstre de papiers noircis. Une étude minérale.

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«L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé», écrit Montesquieu. Une heure de lecture c’est bien. Jusqu’à ce que la lecture mange tout, aspire les environs dans son vortex originel. Comme «un bloc noir au milieu du monde». (Marguerite Duras, La vie matérielle)

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Au matin, on l’a retrouvé qui creusait dans une concrétion de livres formant cratère. Il refusait qu’on lui vienne en aide. Plus tard, les pelletées cessèrent d’être visibles, puis, audibles.

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Aveuglettes: adv. A tastons, sans lumiere. «Qui cherche aveuglettes, trouve quelquefois ce qu’il ne voudroit pas trouver.» (abbé Antoine Furetière)

Courbé vers l’avant, le lecteur selon Pascal Quignard est en arrêt, au ralenti extrême dans une chute, en position propice pour subir la décollation. De même pour celui qui écrit, penché, arqué, occupant un intermède entre la marche et l’affaissement, tâchant de trouver l’équilibre dans le vertige. «Saint Paul, Abélard, Agrippa d’Aubigné se mettent à écrire parce qu’ils tombent de cheval.» (Les désarçonnés)

Une bête différence matérielle empêche l’écran d’ordinateur de laisser place à toute l’intimité de cette descente. Pour lire, pour donner naissance au livre sur un support de papier, il faut orienter la lumière sur celui-ci, la faire descendre avec nous dans les lettres, tandis que l’écran, qui est aussi une lampe, irradie notre visage, projette sa lumière vers le haut pendant que nous nous engageons dans le texte, demandant un effort accru pour s’immerger. Malgré les apparences, l’écran, œil par défaut de la société, veut nous garder dehors, là où le livre nous confine au-dedans, dans les anfractuosités indéterminées de la voix libre.

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Lire est un observatoire sans objet, un exercice de reprise à la racine.

Lire: une catabase. Une descente pour revenir au commencement, à la faculté de débuter.