Sam

Avant-propos

Aux distingués membres de l’Académie des lettres du Québec

En espérant que vous ne trouverez pas ma requête inconvenante, j’ose vous demander si cela pourrait être un effet de votre bénignité que de me décerner le prix Ringuet pour l’ouvrage que vous tenez entre les mains. Je souligne qu’il s’agit de mon huitième roman publié et, qu’à ce jour, je n’ai toujours gagné aucun prix littéraire important. (J’ai été finaliste à quelques reprises, mais frôlé compte pas, comme on dit au ballon-chasseur.) Personnellement, cela ne m’émeut guère, l’on n’écrit pas pour gagner des prix, mais c’est surtout pour vous que cela commence à être gênant. Car il est indubitable que d’ici un siècle on entendra des gens s’exclamer : « Dire que Blais a échappé le Ringuet ! » sur l’air de : « Dire que Céline a échappé le Goncourt » ou « Dire que Proust a échappéle Nobel ! » Les moins charitables ne manqueront pas d’ajouter : « Mais qui étaient donc les béotiens du jury ? » Même si vous répariez cette injustice sur-le-champ, il s’en trouvera encore pour s’exclamer : « Dire que Blais a dû attendre son huitième roman pour qu’on lui donne le Ringuet ! » Néanmoins, le mal serait moindre.

Évidemment, au moment d’écrire ces lignes, je n’ai aucune idée de quoi aura l’air le paysage littéraire de la prochaine année, et il se peut que mon livre ne soit pas le meilleur du lot, il se peut que Nicolas Dickner ou Perrine Leblanc ou n’importe qui décide de sortir un bouquin en même temps que moi, simplement pour m’embêter. Je leur concède avec joie tous les autres prix, celui des Libraires, celui du Gouverneur général, le Philippe-Aubert-de-Gaspé, le Saint-Pacôme du roman policier, le Grand Prix du livre de la Montérégie, l’Athanase-David, le Damase-Potvin, le René-Martin, l’Adrienne-Choquette, le Cécile-Gagnon, l’Alfred-Desrochers, etc. Moi, c’est le Ringuet que je vise. Rien d’autre. Tenez, pour vous prouver mon sérieux, je m’engage solennellement à lever le nez sur toute récompense, de quelque nature qu’elle soit, tant que je n’aurai pas mis la main sur le Ringuet. Voudrait-on me faire Compagnon de l’Ordre du Canada (et mes sources au cabinetdu premier ministre me disent que le projet est dans l’air), je répondrais : « Messieurs, votre gesteme touche, mais je me dois de refuser. Revenez me voir quand j’aurai eu le Ringuet. »

Pour terminer, je tiens à vous assurer que la généreuse bourse de mille dollars versée au lauréat n’entre pour aucune part dans mon ambition. D’ailleurs, j’ai l’intention de la donner entièrement aux petits enfants malades. Dès le lendemain de l’attribution du prix, j’irai faire le pied de grue près de l’école primaire de mon quartier, à la fin des classes, et je refilerai le chèque au premier enfant que je vois tousser, ou qui me semble un peu pâle. Vous ne voulez tout de même pas léser les petits enfants malades, hein ?