Toots fait la Shiva, avenue Minto

Ce que je sais du petit homme

Il est né en Abitibi au Québec le 28 septembre 1943. Ou peut-être à Montréal. J’ai une photo de lui à huit mois avec sa mère sur le balcon d’un deuxième étage. À Montréal, à ndg. Elle porte une jolie robe et il sourit.

Son père et sa mère étaient partis comme colons en Abitibi à l’époque du plan Vautrin. Là-bas, la vie était dure, la férule de l’Église étouffante, et le couple est rentré à Montréal juste avant ou après la naissance du petit homme. Paul Émile. Leur aîné. Ils ont eu ensuite deux autres enfants, Hélène et Jean. Paul Émile, malgré les difficultés de sa propre vie, leur survivra à tous.

Son père, Yvan ou Yvon, a d’abord eu une épicerie du coin à Montréal (ou peut-être a-t-il travaillé dans ce genre de petit commerce) avant de partir dans le nord. On était alors en pleine Dépression. L’Église prônait le retour à la terre pour sauver les Canadiens français, et les curés contrôlaient dans les moindres détails la vie des colons. La famille, comme bien d’autres, est revenue en ville sans un sou, dépouillée. Son père a trouvé du travail dans l’entretien des voitures-coachs des trains du cpr. Un emploi décent, syndiqué. Sa mère était ménagère.

Je bute sur le mot « était », sur le mot « est ». Que j’emploie l’un ou l’autre, j’ai l’impression d’enfoncer une aiguille à coudre dans un matériau épais. Du cuir ou de la toile. Mes pouces me font mal.

Son père ou sa mère, je ne sais plus, était à moitié wendat-huron comme il disait. Il avait gardé une vieille photo du début du 20e siècle, on y voyait sa grand-mère dans ses vêtements traditionnels. Il en était très fier. C’était une princesse, disait-il. Même élevé dans la religion catholique — c’était la norme à l’époque —, il a toute sa vie pratiqué une spiritualité plutôt autochtone : Dieu, c’est le souffle, c’est l’air, disait-il. Dieu entre en nous quand on inspire, puis il ressort quand on expire. C’est le cas pour tous les animaux qui respirent, et même pour les plantes.

Puis il pinçait les lèvres et laissait s’échapper un souffle d’air.

J’ai une autre photo de lui qui me vient de sa mère, il a six ans, il porte un petit costume de laine avec une cravate, et il semble avoir l’âge qu’il avait quand je l’ai connu.

Une seule fois, à Vancouver où nous avons vécu ensemble, il a pu suivre un programme de traitement de l’alcoolisme pour les Premières Nations et les Métis (il en a connu d’autres, plusieurs même, et le programme des Alcooliques anonymes est celui qu’il a détesté le plus). C’était dans les années 1980, après notre séparation. Peut-être ce programme était-il nouveau. Il s’accommodait de la dimension spirituelle du programme, mais il avait trouvé ça difficile : les cultures de la côte Ouest sont différentes et il avait grandi dans la culture des Blancs, celle des Canadiens français de Montréal.