Borderline

Prologue

D’aussi loin que je me rappelle, ma grand-mère m’a toujours raconté des niaiseries. Toutes sortes de niaiseries. Par exemple, quand j’étais tannante, elle avait coutume de me dire: Si t’es pas gentille, un fifi va entrer par la fenêtre et te violer ou Je vais te vendre à un vilain qui fera la traite des Blanches avec toi ou encore Un assassin va venir te découper en petits morceaux avec un scalpel, c’est ça que tu veux? Hein? À quatre ans, je n’avais pas droit au croque-mitaine ou au Bonhomme Sept-Heures, mais au serial killer.

Oui, vraiment... toutes sortes de niaiseries qui m’ont complètement fucké l’esprit et qui ont fait en sorte que je me sente nulle à chier. C’est pour ça que maintenant j’ai peur de tout: les autres; les endroits publics; les endroits clos; les vaches, parce qu’elles sont tellement grosses (les baleines, je n’en parle pas); les sorties après neuf heures quand je suis toute seule; les araignées et leurs grandes pattes; les mille-pattes et leurs mille pattes; les talons hauts sur les surfaces inclinées; les psys incompétents; les psys trop compétents; les transports communs ou privés; les déménagements; les itinérants qui se promènent avec des gales qui saignent; les skins avec leurs squeegees qui nous sautent dessus pour nous laver, même quand on n’a pas de pare-brise; les étrangers qui ouvrent des dépanneurs et qui ne comprennent pas quand on veut juste des allu- mettes; les bruits fracassants; les craquements de plan- chers la nuit; les formulaires à remplir; les comptes à payer; le gouvernement avec ses tentacules de pieuvre; les drogues trop fortes qui font halluciner que La Planète des singes passe sur toutes les chaînes de télé; la viande hachée à moitié cuite qui saigne encore; les patates pilées Shirrif; les fantômes sans drap blanc; les mauvais numéros de téléphone; les violeurs laids comme des poux; les tueurs laids comme des poux; les terroristes laids comme des poux qui se camouflent en matantes; les anévrismes qui vous éclatent dans le cerveau sans crier gare; les strepto- coques, genre de Pacman affamés, et le sida, putain de maladie. Mais par-dessus tout, ce dont j’ai le plus peur, c’est de ne pas être aimée. Alors, j’ouvre mes jambes afin de voir le ciel ou mon petit bout de paradis. J’ouvre les jambes pour oublier qui je suis, j’ouvre les jambes de manière à briller comme une petite étoile. Je m’aime si peu, alors que m’importe d’ouvrir les jambes pour tous ceux qui semblent m’aimer un peu.