Je suis une maudite Sauvagesse / Eukuan nin matshi-manitu innushkueu

PRÉFACE DE NAOMI FONTAINE

La première fois que j’ai rencontré John André c’était pour lui parler de la réédition de Eukuan nin matshi-manitu innushkueu • Je suis une maudite Sauvagesse. Je lui ai donné rendez-vous dans un restaurant chic, l’un des plus dispendieux de Sept-Îles. Forcément, je cherchais à l’impressionner. Le convaincre qu’il devait me faire confiance pour les œuvres de celle qu’il a toujours appelée affectueusement Neka, ma mère. Pour le mettre à l’aise, j’avais invité ma tante, son amie. Nous avons mangé un surf and turf et bu du vin rouge. Ma tante parlait beaucoup. Elle racontait les nombreuses histoires qu’elle connaissait, à dormir debout. Elle nous faisait rire. Mais lui, John, parlait à peine. Je le sentais discret, presque gêné d’être là. Finalement, je lui ai décrit notre projet, celui de faire revivre l’œuvre de sa grand-mère paternelle. Lui ai dit que c’était essentiel. Il m’a comprise. Il m’a dit « Tshishutshenimitin, je te fais confiance. »
J’ai lu Kapesh à vingt-sept ans. Après Leclerc, Zola, Roy, Schmitt, les prophètes de l’Ancien Testament, Césaire, Laferrière, tous ces écrivains qui ont contribué à forger ma propre mythologie. J’ai lu ses mots comme on s’abreuve d’un vin rare. Quand on sait que le goût ne retouchera peut-être plus jamais nos lèvres assoiffées. Je les ai lus sans jamais qu’aucun doute ne traverse mon esprit quant à la véracité de ses propos. Elle me racontait l’Histoire, celle que je n’avais jamais entendue. La mienne. Un récit brutal, violent, impossible. Elle m’a appris que j’avais un passé auquel rattacher la flamme qui me consumait. Ce désir de me tenir droite, loin des préjugés, loin des mensonges, loin, très loin de la haine de soi. J’ai cru chacune de ses paroles.