La voleuse

Et pour jeter le rideau sur cette jeunesse dont je n’ai plus souvenir, comme s’il s’agissait d’une erreur, j’écris dans l’absence des femmes qui m’ont faite, habituée aux bruits de tout genre autour de moi, habituée à écrire dans le vacarme des bébés et des disputes et des offrandes à l’alcool, pour comprendre ce trou noir, ce trou de mémoire en moi, ce quelque chose de suspect. Et alors faudra-t-il m’excuser, mes lecteurs et lectrices, d’avoir eu des vêtements, de l’argent de poche et des livres pour apprendre les mots qui font de l’ombre à la mort. Faudra-t-il m’excuser pour les gens qui se sont occupés de moi à la place de ma famille, dans ces souvenirs dont je me languis à force de ne pas m’y voir. La famille est une idée du dernier siècle à laquelle je m’accroche pourtant sans savoir pourquoi ni en quel honneur, comme s’il s’agissait d’un Dieu torturé davantage qu’absurde, et qui a joué dans ma tête jusqu’à ce que je me croie maudite et de mauvaise conscience, empoisonnée et bonne à rien, honteuse, toxique et ingrate. La fille de ma mère.

*

Dans le lit où je saigne, il y a des livres. Pour cette injustice, j’ai la monnaie des sentences, l’arrosoir dans les mains, je paye.
Je répète : Brûlez-moi. 
À partir de cette page, j’entame la journée de trop, et dans cette journée toute ma vie.
Là, je vois le lierre et la cendre. Je vois la fille et ses seins gonflés de glaire à tuer. Je vois l’homme et sa queue, je m’étale sur son gland désert, et puis je vois les troupeaux sur l’acide, je vois le grand bleu de la science là où on meurt comme des mouches.