Les Partitions d'une époque, Volume 1

ANDRÉ PAIEMENT,

REVU ET CORRIGÉ?

Cette réédition du théâtre complet d’André Paiement représente en quelque sorte la prochaine étape dans un processus visant la consécration de l’auteur, processus lancé en 1978 au moment de la publication, sous forme de coffret, de la majeure partie des textes attribués à sa plume. Compte tenu du rôle de catalyseur joué par Prise de parole dans le grand projet qui a déjà fait de Paiement le «père fondateur» d’un mouvement artistique, il n’est pas étonnant — diront sûrement certains — de voir la doyenne des maisons d’édition franco-ontariennes offrir à ses lecteurs, vingt-cinq ans plus tard, une version « revue et corrigée » des pièces qui ont eu autant de résonance dans le paysage culturel de l’Ontario français.

De l’aveu des instigateurs de la première édition, ce coffret a été conçu à la hâte et dans l’émotion, peu de temps après la mort tragique de Paiement. Cette réalité, jumelée à la jeunesse de l’équipe éditoriale de l’époque, explique en large partie les carences et les inexactitudes présentes dans ces premiers livres. Au moment de leur parution, le désir de rendre hommage à leur ami primait clairement sur tout autre considération, même déontologique. Comment expliquer autrement que par son ascendant sur le milieu théâtral sudburois la décision d’attribuer à Paiement la création de toutes les pièces, alors qu’il était bien connu que la plupart d’entre elles étaient issues d’un processus collectif de création? Au sein des équipes, Paiement assumait habituellement le rôle de scribe, mais il n’était très certainement pas l’auteur unique de la plupart des textes. Ce n’est qu’en feuilletant ces premiers livres que l’on découvre, par exemple, que Et le septième jour... est «une création collective multimédia » et que À mes fils bien-aimés a été écrite par Paiement à partir d’un canevas conçu par Daniel Jacques, Michael Gallagher et André Paiement. Si l’on se fie aux pages titre et aux pages couverture des livres, on serait porté à croire que toutes les pièces du coffret ont été créées uniquement par Paiement. Par conséquent, au moment d’entreprendre cette nouvelle édition en 2001, nous nous étions donné comme mission d’établir aussi précisément que possible les distributions des équipes de création, comme le veut la norme éditoriale actuelle. Les noms de tous les auteurs des créations collectives ont été ajoutés et ce, pour redonner à tous ceux et celles qui ont contribué à chacun des projets la reconnaissance qu’ils méritent.

À l’époque, nous n’étions pas conscients de l’ampleur du travail qui serait à faire, un travail qui dépasserait largement la simple identification des créateurs des productions. Une comparaison des manuscrits originaux répertoriés dans le Fonds d’archives du Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO) aux versions publiées en 1978 a révélé de nombreuses anomalies: l’omission malencontreuse d’une page complète dans Et le septième jour...,l’homogénéisation des temps de verbe dans La Vie et les Temps de Médéric Boileau — quand la juxtaposition entre le passé et le présent faisait incontestablement partie du projet d’écriture —, la modification des divisions entre certaines scènes dans Moé j’viens du Nord, ’stie et Et le septième jour..., et l’ajout, sans raison apparente, de signes de ponctuation et de marques d’interrogation dans l’édition de Lavalléville de 1978.

En continuant nos recherches en vue de la présente édition, nous avons aussi identifié dans les manuscrits originaux des variations importantes dans la transcription orale — d’une pièce à l’autre comme à l’intérieur d’une même pièce. Celles-ci sont présentes dans l’édition de 1978, et nous avons cherché à en comprendre l’origine. Par exemple, nous avons relevé une infinie variation de transcriptions pour «je suis», qui devenait tour à tour «j’suis», «chuis», «chus», «j’t’» — comme dans «j’t’allé» pour « je suis allé » —, et qui gardait même par moments sa forme correcte; le mot «ch’feux» mis pour «cheveux» alors qu’ailleurs on le retrouvait dans sa forme correcte; l’utilisation tantôt de «ici», tantôt de «icitte», de «pepére» et de «pépére», etc. À l’exception de Lavalléville, les pronoms personnels «moi» et «toi» sont presque systématiquement transcrits « moé » et « toé », et la marque de négation «ne» — de «ne pas» — est élidée. Or, il existe deux versions de cette pièce dans le Fonds d’archives du TNO, l’une datée du 27 septembre 1974, et l’autre du 6 janvier 1975, toutes deux signées par l’auteur. La version la plus récente a subi un certain nombre de modifications: il s’agit bien de la seule pièce que Paiement a retravaillée en fonction d’un français moins oralisé, probablement parce que c’est la seule qu’il a soumise au Centre d’essai des auteurs dramatiques (CEAD) pour obtenir une évaluation externe.

Confrontés, d’une part, à l’existence de grandes variantes de transcription dans les textes, et, d’autre part, à l’impossibilité de consulter l’auteur en vue de fixer nos choix d’édition, nous nous sommes trouvés dans l’obligation de prendre certaines décisions à sa place. En premier, nous avons rétabli, dans la mesure du possible, les textes originaux: nous les avons corrigés et complétés quand il le fallait. Puis, conscients que Paiement n’avait pas «déoralisé» la majorité des textes répertoriés aux Archives et que plusieurs d’entre eux portent des mentions visant à attirer l’attention du lecteur sur l’importance des particularités de la langue dite franco-ontarienne, nous en avons conclu que l’aspect régional du lexique et du parler employés définissaient son œuvre. Pour être conséquent, nous avons décidé de publier la première version de Lavalléville: ainsi, les «moi» et «toi» des versions de 1978 et 1975 cèdent la place aux «moé» et aux «toé», tout comme le «Je n’ai pas la patience» redevient «J’ai pas la patience», plus près de ce qu’était la langue utilisée lors des représentations. À cet égard, plusieurs créateurs et bon nombre de spectateurs qui ont vu les pièces à l’époque nous ont réaffirmé le fait bien connu, soit que les comédiens accentuaient l’aspect croquant du parler.

Au moment d’imposer une orthographe commune, d’une pièce à l’autre, aux expressions d’inspiration orale, nous avons choisi : tantôt des transcriptions identiques au français écrit, tantôt des transcriptions qui se rapprochent du français écrit, et ce en vue d’améliorer la lisibilité du texte pour un lecteur contemporain sans toutefois sacrifier la couleur due à l’oralité. Ainsi, des mots comme «ch’feu» sont devenus «cheveu», «aye» est devenu «aïe», alors que «astheur» est devenu «à c’t’heure». Quelques erreurs flagrantes, les «si t’aurais», par exemple, sont devenus «si t’avais». Nous avons également effectué un travail de normalisation de la ponctuation. Et nous avons réécrit plusieurs disdascalies pour en améliorer la compréhension: très souvent, dans les manuscrits originaux comme dans les versions éditées en 1978, le paratexte s’apparente davantage à des notes de travail qu’à de réelles indications de jeu.

Ceci étant dit, nous avons choisi de ne pas pousser à l’extrême le travail d’uniformisation de la langue d’une pièce à l’autre; vous constaterez donc, à la lecture, qu’il y existe encore des variantes, mais nous en avons réduit le nombre.

Les partitions musicales, aussi importantes à l’appréciation des spectacles que les textes écrits, ont été incluses pour toutes les pièces. Elles se trouvent à la fin de leurs volumes respectifs.

Nous avons également jugé approprié de publier, pour la première fois, l’adaptation du Malade imaginaire de Paiement qui, avec Lavalléville, représentent les deux pièces que cet auteur ait écrites seul. L’adaptation, qui a connu un grand succès auprès du public, établit un pont d’accès important à la pensée politique et idéologique des membres du TNO.

Enfin, pour permettre aux lecteurs de situer l’œuvre de Paiement dans le contexte socioculturel des années soixante-dix et de cerner le projet culturel qui animait les artistes «du grand CANO », nous avons reproduit des écrits — articles, commentaires, manifestes, etc. — qui faisaient partie de la première édition. Il s’agit de textes qui nous semblent essentiels à l’appréciation des pièces. À ces écrits, nous avons ajouté le plan de rédaction de la pièce nihiliste Bienvenue Nineteen Eighty-Four, dernier projet dramaturgique sur lequel s’est penché André Paiement avant son décès prématuré.

Nous espérons que, grâce à ces Partitions, il sera maintenant possible d’évaluer plus justement l’importance et la contribution d’André Paiement et de ses collègues à l’institution théâtrale franco-ontarienne actuelle. Nous souhaitons, surtout, que cette édition encouragera les praticiens à remonter un jour les textes qui le méritent.

JOËL BEDDOWS

Professeur adjoint Département de Théâtre Université d’Ottawa; Directeur artistique Théâtre la Catapulte (Ottawa, Ontario)

DENISE TRUAX

Directrice générale Éditions Prise de parole (Sudbury, Ontario)