Louky Bersianik: L'écriture, c'est les cris

Avant-propos

   J’ai rencontré Louky Bersianik après la publication de son premier roman, L’Euguélionne, qui fut un événement littéraire majeur et obtint un succès considérable. C’était en 1976. Il s’agissait d’une œuvre féministe parue dans le contexte effervescent des débats sur la condition des femmes.

   Nous sommes devenues des amies quelques années plus tard. Nos échanges portaient sur l’écriture et sur le féminisme, nous discutions continuellement des mêmes sujets, avions synchroniquement un regard social et politique. Nos propos existentiels et conceptuels étaient tournés vers le temps présent en vue du futur. Ce qui était en changement et en mouvement nous paraissait digne d’intérêt. Nous nous indignions et nous analysions des faits, des situations d’ici et d’ailleurs, nous avions le verbe contestataire.

   En 2006, j’ai proposé à Louky Bersianik un entretien sur la féminisation du langage. Je suis allée chez elle avec l’idée d’un entretien, je suis ressortie avec le projet d’en élaborer six. Six entretiens cerneraient la matière. Il faut rappeler le début du grand roman, où le personnage de l’Euguélionne dit: «Je veux tout.» Qu’un entretien soit multiplié par six tient d’un désir analogue.

   Parmi les thèmes choisis, les premiers questionnent les origines. Ce qui m’avait amenée chez elle, la féminisation du langage, constituait une révolution pour les femmes et pour tous. Nommer, c’est faire exister. Je pensais qu’elle était à l’origine de la féminisation, ce que je désirais établir et, ultimement, rendre public.

Les origines de son féminisme m’étaient inconnues: elle parla de sa mère, une femme rebelle et silencieuse. À propos de son écriture, elle esquissa ce qui venait de son père, lecteur assidu des dictionnaires.

   Il fallait un thème libre, un sujet d’écriture éminemment personnel, semblable à un socle de la pensée. C’est elle qui mena cet entretien. L’univers est un espace de prédation, voilà ce qu’elle expose de toutes les manières possibles.

   L’entretien sur l’architecture de l’œuvre fut rempli de révélations. J’allais de découverte en découverte. J’ignorais l’existence des milliers de pages écrites qui avaient précédé L’Euguélionne. Je n’étais pas davantage au fait de l’envergure de l’œuvre en chantier.

   Nous avons terminé par la poésie. L’écrivaine insistait depuis le début, il fallait aborder sa poésie. Au sixième entretien, elle ordonnait le déroulement de la séance. De son œuvre monumentale, il fallait saisir les détails et les nuances.

   Louky Bersianik est une styliste. Je cite une phrase qui mériterait une élaboration: «Il n’y a pas de synonymes en français.» Quand elle approcha la poésie, elle lut un art poétique et décrivit les premiers éléments d’une méthode ou d’une technique qui faisaient l’objet de ses ateliers d’écriture. Aux nouveaux poètes et aux autres de s’y risquer, d’y souscrire.

   Louky Bersianik possédait un vaste imaginaire, elle avait une conscience articulée de son époque.

   Ces entretiens témoignent de sa singularité féministe.

   Elle vivait, elle cherchait, ça allait de pair.

   Femme d’esprit, les indices des rires apparaissent dans nos conversations.

    

   France Théoret